Il commençait à se faire tard et la ville était encore loin – et Mastema n’était pas pressé d’y retourner. Ses souvenirs des révoltes sanglantes s’étant déroulées là-bas étaient encore très vivaces, malgré le passage du temps. Son cœur souffrait à l’idée de retrouver des bâtiments où il avait été, ou de remarquer qu’ils avaient été détruits. Et surtout, il espérait que là-bas, on l’avait oublié. Que personne ne serait plus capable de le lier aux sorcier, qu’avant il côtoyait tant.
Il avait trouvé un creux dans la roche, facile d’accès – et après une brève inspection, il conclut que rien n’habitait dedans. Il valait mieux être prudent, dans la forêt. Les ours, les loups et de nombreuses autres bêtes rampaient entre les fourrés, prêts à attaquer. L’hiver approchait, la nourriture se raréfiait… les attaques contre les humains étaient fréquentes, en cette période. Mastema avait toutefois la chance de ne pas être entièrement humain, ce qui l’aidait à repousser les attaques des animaux forestiers, quand ces derniers osaient l’approcher. Mais d’un autre côté, faire fuir les bêtes était ennuyeux : il devait se trouver à manger. De la viande.
Hélas, ce soir n’avait pas été le sien. Pas même un lapin n’avait pointé le bout de son museau, laissant Mastema affamé. Tout ce qu’il lui restait était une miche de pain dur et une morceau de fromage, qu’il avait acheté il y a quelques jours à un village de l’autre côté des bois. Il n’avait pas pu s’encombrer d’autre-chose, n’ayant pas de monture : elle risquait de se faire dévorer la nuit ou de se casser une patte sur les roches rendues glissantes par la glace qui se formait, matin et soir. Un cheval n’aurait été qu’une source de soucis. Et puis, de quoi l’aurait-il nourri ?
De ce fait, Mastema était exténué. Il avait passé sa journée à marcher, ses quelques biens sur le dos, sans grand-chose dans l’estomac : il fallait se rationner. S’il avait marché un peu plus vite, certes, il serait déjà à Ocrux Cathair. Dans une auberge chauffée, avec un ragout devant son nez. Mais il ne voulait pas s’y rendre. Peut-être serait-il mieux de contourner cette grande ville et poursuivre, ainsi, sa route. Ce serait alors refuser la possibilité de gagner énormément d’argent – là-bas, les gens sont friands d’histoires, d’arts, de savoirs. Et puis, là-bas il serait aisé de trouver un travail pour l’hiver, plutôt que de passer cette dure saison sur les routes. Vraiment, le jeune homme ne savait pas ce qu’il voulait. Il enfonça son menton dans son épais manteau, fait de laine bouillie et doublé de fourrure. Qu’est-ce qu’il faisait froid ! Et faire un feu était impossible : il avait neigé, tout le bois était mouillé. Mastema se demandait s’il arriverait à fermer l’œil, en tremblant ainsi. Il allait peut-être même devoir partiellement se transformer, se couvrir de fourrure et craindre qu’on ne l’épie… tout cela pour résister au froid.
Entre ses mains emmitouflées il tenait une carte de la région, se demandant quel chemin il était le plus sage de prendre. Aucune nouvelle ne lui était parvenue d’Ocrux Cathair… il espérait que tout allait-bien là-bas. Que son passage (si finalement il s’y décidait) serait sans éclats. Il avait l'impression qu'à chaque fois qu'il s'y rendait, une horreur survenait.